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Le calvaire de Villiers-sur-Morin

Situé au carrefour de la rue de Paris et du chemin Blanc, face au cimetière, il est masqué en partie par des poteaux « téléphonique», « EDF » et un panneau « Cédez le passage », son socle est dissimulé par d’affreux Berbéris !
Il vient d’être admirablement nettoyé par Jean-Michel, un villiermorinois amoureux du patrimoine local. Pour marquer cet évènement qui coïncide avec le début de la Semaine Sainte 2016, une procession allant de ce calvaire jusqu’à  l’église St Rémi de Villiers sera organisée ce samedi 19 mars 2016 à  partir de 18h00 avec bénédiction es Rameaux par le Père Aimé.
Venez nombreux pour nous remémorer à  Villiers, comme dans toutes les paroisses de France, la montée de Jésus vers Jérusalem qui précéda sa douloureuse Passion !!!
Et maintenant, place à  Lidye qui nous relate dans la suite de cet article l’histoire de ce calvaire…
Claude JOULEAU, ancien du village, il y a quelques années m’avait évoqué l’histoire de ce calvaire, qui selon lui avait été érigé pour remplacer celui qui était implanté sur la place de l’église.
Que nous révèlent les archives sur son histoire ?
En 1866, M. RENAUD, propriétaire du château de Villiers-sur-Morin, fit construire entièrement à ses frais l’autel Saint Louis dans l’église du village. Il fut bénit le 23 août de la même année, par M. le chanoine DENIS, en présence de M. Félix MORIN curé de la commune. Le même jour, fut bénie une magnifique croix en fonte érigée sur la place publique due à la générosité de M. JULLIANY, gendre de M. RENAUD, en vertu des lettres de permissions accordées par Monseigneur ALBAN, évêque de Meaux. La croix a été élevée en remplacement d’une croix en bois qui tombait de vétusté. Etaient présents : M. le curé MORIN, Messieurs ROYER, GIVERNE, MONGROLLE, MARLIN, JUVIGNY, représentant le conseil de la Fabrique * ainsi que M.BERTHIER maire de la commune.

Vingt et un ans plus tard, le jeudi 23 juin 1887, sur la proposition de M. Aimable LEVESQUE de Dainville, le conseil municipal de Villiers-sur-Morin, votait à la majorité de huit voix sur dix votants, la démolition de cette croix, qui soi-disant « faisait peur aux chevaux » (sic)
La démolition fut exécutée sur l’ordre de M. le maire, malgré les protestations indignées d’Albert COTTIN, ma ître maçon, Léon COTTIN son frère, Louis LHUILLIER, Barnabé TUFFIN. Le maire ne voulait pas faire mentir M. SAVOUREUX, sous-préfet de l’arrondissement de Meaux qui, dans une visite faite peu de temps auparavant dans la commune de Villiers, l’avait qualifié justement de têtu et de démolisseur.
Avaient voté pour la démolition :
– Emile POTTIER, maire de la commune, président de la soi-disant Société de « Libre Pensée », Zéphyrin LEVESQUE, secrétaire de cette société de libre penseurs, Jean-Antoine COUTEAU, adjoint au maire, François LAURENT, François DEHU, Arsène LHUILLIER, André GUILLIOT et Aimable LEVESQUE auteur de la proposition.
Avaient voté contre la démolition :
– Pierre-Antoine BERTHIER, ancien maire de Villiers pendant 17 ans, dont les habitants du pays regrettèrent longtemps son administration paternelle, surtout pendant l’invasion de 1870 et de 1871. Alphonse GRENIER, cultivateur, très distingué par sa franchisse et son honorabilité, que certains Villermorinois verraient bien à la tête de l’administration de la communale.
Etaient absents : Gilbert ABIT conseiller démissionnaire, Charles-Etienne BEQUET malade.

Pour protester contre cette démolition, M. LEGRAIN Eugène, sculpteur demeurant à Paris, fit élever une croix en chêne sur socle de maçonnerie, érigée à l’emplacement de l’actuel calvaire. Sur une parcelle de terrain qu’il avait achetée à la famille GAUDIN par un acte passé en l’étude de ma ître BARASSE notaire à Crécy.
Le 1er novembre 1887, jour de la fête de tous les saints, après les vêpres, les paroissiens se rendirent en procession au cimetière selon la coutume de la paroisse. M. le curé MORIN voulait profiter de la circonstance pour aller bénir la nouvelle croix. Préalablement le maire de la commune avait pris un arrêté qui empêchait la procession d’aller au-delà du cimetière. Arrivé à cette hauteur M. le curé fit arrêter le cortège et annonça à haute voix qu’il allait procéder de suite à la bénédiction de la croix. Aussitôt quittant les habits sacerdotaux, c’est-à-dire, la chape*, l’étole* et le rochet* dont il était revêtu, pour ne pas contrevenir à l’arrêté pris par le maire, tous les fidèles présents lui emboitèrent le pas, pour franchir les quelques mètres qui restaient à parcourir pour parvenir au pied de l’édifice. Et c’est ainsi, in nigris*, sans ses habits sacerdotaux, qu’il procéda à la bénédiction de la croix, et ce malgré la présence du garde champêtre venu sans doute, plutôt pour faire respecter l’arrêté du maire, que pour faire circuler librement la procession.
Une couronne fut déposée sur le haut de la croix, bénie par M. le curé, qui s’agenouilla quelques instants pour prier ; il baisa religieusement le socle et tous les assistants firent de même. La cérémonie terminée, M. le curé vint reprendre ses vêtements sacerdotaux qu’il avait laissés en garde aux chantres* restés bien malgré eux devant la porte du cimetière avec les jeunes gens et les demoiselles qui portaient les bannières. La procession reprit le chemin de l’église. De retour dans l’église, les fidèles récitèrent le chapelet pour les âmes du purgatoire, et ainsi se termina cette cérémonie tant redoutée de M. le maire et de ses coreligionnaires de la « Libre Pensée ».

Selon les dires de M. curé ISAMBERT la croix en fonte fut récupérée et placée dans l’église. Elle fut ensuite, lors d’une mission religieuse, déplacée et érigée sur un socle de maçonnerie dans « le pré Manche » à Crécy.
Les anciens se rappellent que des années plus tard, elle fut heurtée malencontreusement par un camion, choc dont elle ne se releva pas.
En 1932, M. le curé Félix ISAMBERT, desservant toujours l’église de Villiers, constate que depuis quelques années la croix en bois se dégrade et qu’elle est en partie vermoulue penchant dangereusement et menaçant de tomber sur la route.
Par acte passé en l’étude de Me RAYER notaire à Crécy, il décidait de racheter la parcelle de terrain sur laquelle elle était érigée. Cette cession se fit avec M. Paul LEGRAIN, docteur en médecine demeurant à Paris, fils et héritier de M. Eugène LEGRAIN décédé en 1915, à l’origine de la création du calvaire.
Ce calvaire fut démoli le 6 novembre 1932. Sur ses fondements un nouveau calvaire fut aussitôt érigé. Le socle en pierres et en ciment complètement enduit de ciment, a été construit par M. Gaston COTTIN, entrepreneur de bâtiment à Villiers-sur-Morin. La croix en super ciment armé (maison BOURLIER et LESAGE à Paris), reproduction exacte de l’ancienne croix en bois, a été mise en place le 22 novembre 1932 et bénite le dimanche des Rameaux, le 9 avril de l’année 1933. Sur sa face est gravé : « Calvaire érigé en 1887 reconstruit en 1932 bénite par ISAMBERT curé »

Le 8 février 1950, M. le curé Félix ISAMBERT vendait à l’Association Diocésaine de Meaux, la parcelle sur laquelle le calvaire avait été érigé, par acte passé devant M° Charles RAYER, notaire à Crécy. Connaissant l’histoire de la croix en fonte de la place de l’église, ce cher curé ISAMBERT a peut-être pensé, qu’il serait impossible de démolir un calvaire, reposant sur une propriété privée. (Parcelle – 314 – du plan cadastral de la commune de Villiers-sur Morin).
Le curé Félix ISAMBERT, que certains de nos anciens ont connu est né le 25 mars 1874 à Sancy-les-Meaux, fils de Frédéric Auguste et de LIENARD Louise Désirée. Il est décédé le 13 février 1953 à Meaux.
Il repose dans le cimetière ancien de Meaux, dans le même caveau que ses parents et son frère Eugène curé de Souppes-sur-Loing.
Cette année, des bénévoles ont prévu de nettoyer le calvaire. Les Villermorinois d’autrefois, seraient surement heureux de constater que les villermorinois d’aujourd’hui prennent soin des monuments édifiés par leurs anciens.

Glossaire : Wikipédia, Le petit Robert.
Fabrique (la): Ensemble de clercs et de laïcs chargés de l’administration des fonds et revenus affectés à l’entretien d’une église.
In nigris : « en noir », sans aucuns vêtements sacerdotaux.
Etole : longue bande d’étoffe, insigne du sacerdoce, portée par le prêtre dans l’exercice de la liturgie.
Chape : vêtement usuel pour se protéger du froid pendant les processions, posé sur les épaules et fermé sur la poitrine par une attache.
Rochet : a presque la même forme que l’aube, mêmes manches, même corps, mais s’arrêtant à la hauteur des genoux. L’extrémité des manches est généralement ornée de dentelles.
Libre pensée : c’est une attitude qui consiste à refuser tout dogmatisme religieux, philosophique ou autre, et à se fier principalement à ses propres expériences. Le 21 mars 1848, création de la Société démocratique des libres penseurs.
Chantre : personne qui chante debout dans une église devant un lutrin.

Lidye Gaultier-Migette

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